Le scandale français de la pollution au mercure
Publié par :
http://www.bakchich.info/article6659.html
Le : jeudi 5 février
Auteur : Benjamin König
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France-Nature-Environnement tient conférence de presse ce jeudi pour
lancer sa campagne nationale. Et dévoile, à titre d’exemple, un dossier
explosif sur la pollution au mercure. Bakchich l’a potassé pour vous…
Tout commence en aout dernier. En compagnie d’un chercheur allemand,
Reinhold Moeseler, Marc Sénant, chargé de mission à FNE, se balade près
de l’usine de chlore du groupe Arkema de Jarrie (Isère). Avec l’appareil
de mesure en temps réel du mercure mis au point par son collègue (et
reconnu par l’EPA, le ministère de l’écologie américain), il est loin de
se douter de ce qui l’attend. Voilà déjà plusieurs mois qu’il bosse sur
ce dossier. A proximité de la rivière qui longe l’usine, sur le domaine
public, l’aiguille s’affole : pendant 10 secondes, le taux de mercure
dans l’air atteint 10000 fois la présence naturelle (entre 13000 et
30000 ng/m3 pour les lecteurs chimistes) ! D’autres relevés, effectués
autour du site, montrent que le mercure est présent partout, en
proportions importantes. Et jamais à moins de 300 nanogrammes/m3, soit
la norme acceptée par l’EPA (il n’existe aucune norme officielle en
France). Dans une école, à un kilomètre du site, les niveaux sont encore
très élevés. Repérés, quatre dirigeants de l’usine les interceptent. Et
leur demandent leur identité. Refus. Reinhold Moeseler et Marc Sénant
s’en vont : ils ont leurs relevés : « On préfère parler d’instantanés,
on n’a pas prétention à dire que ces normes sont des évaluations
scientifiques. On ne mesure pas la quantité totale des rejets », précise
t-on à FNE.
Abasourdis, ils décident de revenir le 17 septembre. Cette fois, ils
n’ont même pas le temps de sortir le compteur. Ils sont six cette
fois-ci pour les alpaguer. Les intimidations sont de sortie : « On s’est
renseigné sur vous. On sait qui vous êtes, et ce que vous faites là. »
Et demandent à nouveau les cartes d’identité. Nouveau refus. Alors les
six dirigeants appellent les gendarmes. Qui s’empresseront de vérifier
les papiers des deux empêcheurs de mercuriser en rond, qui battent en
retraite : pas de relevés cette fois-ci. Peu importe : ils ont largement
de quoi informer.
Le mercure, thermomètre d’une industrie obsolète
Car la problématique du mercure est emblématique : il est possible de ne
pas polluer, mais par manque de volonté des entreprises, on continue
d’exploiter un procédé industriel vieux comme Hérode. Eh oui ! Le pire,
c’est que ce procédé, mis au point en 1888 et qui fut à l’origine du
célèbre gaz moutarde, est aujourd’hui obsolète : depuis les années 1970,
deux autres techniques existent, qui nécessitent 30% d’énergie en moins,
et surtout – on touche là à l’ubuesque – qui n’utilisent pas de mercure
! La question est bête à bouffer du foin : pourquoi ne change t-on pas ?
La réponse l’est tout autant : le pognon.
Car le chlore n’est plus rentable, et Arkema, la filiale chimie de
Total, rechigne à investir. FNE ne veut stigmatiser qui que ce soit,
préfère élargir le débat et « mettre l’accent sur l’environnement comme
moteur du redressement économique ». D’ailleurs, six usines en France
utilisent encore ce procédé au mercure. Selon FNE, « Il existe des
problèmes sur tous ces sites, notamment de pollution diffuse. Car il
faut bien comprendre que ces sites ont un passif au mercure qui date de
leur implantation ! ». A Jarrie, c’était en 1916. Nul ne sait combien de
tonnes de mercure ont été dispersées dans les environs. Un chemin
d’accès au lotissement voisin a carrément été construit sur un ancien
site de stockage, et ce sans aucune information des riverains. Il avait
même été question d’en faire un parc pour enfants, mais une étude avait
déconseillé que des enfants y restent plus de deux heures par jour. Ça
donne confiance…
Or, la France a signé en 1998 la convention Ospar (pour Oslo-Paris), et
s’est engagée à abandonner cette technique au mercure en 2010. Alors les
lobbys sont entrés en jeu : le Syndicat des Halogènes et Dérivés (SHD,
surnommé le syndicat des javeliers et des chloriers), a obtenu une
dérogation : Ô joie, les chloriers pourront utiliser du mercure – et le
rejeter – jusqu’en 2020. Alors que le monde entier, scientifique comme
politique, est aujourd’hui conscient de la dangerosité du mercure. L’ONU
s’y penchera du 16 au 20 février prochain, à Nairobi, pendant le conseil
d’administration du Programme des Nations-Unies pour l’Environnement
(PNUE). L’UE a prévu l’interdiction des exportations en 2011, tout comme
Barack Obama, qui s’est penché sur le problème de cette substance
extrêmement toxique dès 2006. Et FNE tient à préciser que le ministère
de l’Écologie, alerté, a réagi immédiatement. Un étude contradictoire
est prévue : chacun fera ses relevés : FNE, la Drire (Direction
régionale de l’industrie, de la recherche et de l’environnement, qui
dépend du ministère), et Arkema. A FNE, on est satisfait : « Nous sommes
seulement des donneurs d’alerte. » C’est réussi…